Le tabou ethnoculturel au Niger
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Le tabou ethnoculturel au Niger
Une menace permanente pour la cohésion nationale et l'unité du pays
Ces dernières semaines, le débat sur la diversité culturelle du peuple nigérien est revenu sur le devant de la scène à la faveur de certaines déclarations d'hommes politiques de premier plan. Les médias nationaux et les réseaux sociaux se sont immédiatement emparés du sujet pour en faire une polémique qui risque de couper court à toute possibilité d'un débat constructif utile au pays.
S'il faut saluer la volonté, enfin affichée, des pouvoirs publics de faire respecter la loi en demandant des comptes à toute personne qui tiendrait ou encouragerait des propos de haine, cette volonté n'écarte aucunement les risques d'instrumentalisation de cette question, y compris par ceux-là mêmes qui sont en charge de faire respecter la loi. Des propos particulièrement scandaleux et graves pour la cohésion nationale ont été tenus il n'y a pas si longtemps sans que la classe politique exprime la moindre réaction. Pouvons-nous encore longtemps accepter sans réagir qu’un tel gouffre subsiste entre ce qui devrait être et l’indifférence quasi officielle de ceux qui nous représentent à propos d’un sujet aussi sensible ?
Près de soixante années d'exercice direct du pouvoir semblent manifestement ne pas avoir suffi à nos élites pour déclasser et ringardiser le lien que nous cultivons avec nos cultures traditionnelles ! Car ce déclassement officiel souhaité par la classe politique aurait dû avoir pour objectif de faciliter la création d’un schéma politique cohérent et pragmatique. Qu’en est-il réellement ? Tout au plus une certaine confusion, d’autant plus préjudiciable à la compréhension des objectifs qui devaient en résulter qu’il n’y a jamais eu de propositions sérieuses. Des propositions suffisamment sérieuses qui auraient pu permettre de conserver sans le dénaturer le rôle fondamental que jouent nos cultures traditionnelles dans la société, car nous devons reconnaître que le ciment de notre identité consiste avant tout en nos valeurs et en nos traditions, tout le reste n’étant que chimère ! Et ceux qui estiment que ces valeurs et traditions appartiennent déjà au passé ne font, en réalité, que reprendre à leur compte une bien-pensance empruntée d’ailleurs et qui n’a pour tout avantage immédiat que le confort et la facilité du prêt-à-porter. Seuls quelques rares idéalistes pensent de bonne foi que nous sommes déjà passés à un stade avancé de la constitution d'une nation capable de vivre sa cohésion à travers une république moderne affranchie de considérations ethnocentristes.
Pour se retrouver dans la jungle de sa classe politique, la population a besoin de repères. Or seules les structures traditionnelles offrent encore un ancrage sociétal et social qui rassure et stabilise les liens qui permettent de faire société. Nos populations vivent ensemble depuis des siècles et ont toujours su créer des liens qui se traduisent par un brassage plus ou moins important selon la nature de leurs échanges. Nous pourrions favoriser ces liens au bénéfice de tous, puisque ce qui est censé les remplacer n’appartient pas encore à la réalité de notre vie en commun ou bien, le comble, génère en nous tous des divergences incompréhensibles, nous sépare, nous disperse et nous paralyse.
En effet, notre pacte national est encore à construire. Une certaine paresse intellectuelle nous empêche encore de nous pencher sur le type de société que nous voulons et la nature que pourrait être un Etat capable de nous entraîner vers un épanouissement culturel et économique. L'échec de la Conférence nationale du début des années 90 avait déjà montré la difficulté qu’éprouve le pays à affronter ses propres contradictions et à réussir à les résorber.
Nos communautés, aujourd'hui plus que jamais, sont face à un impératif d'unité dicté par la nécessité d’y faire face de manière efficace et de répondre positivement aux défis que nous impose le contexte géopolitique actuel. Cela devrait nous obliger à prendre au sérieux les aspirations profondes de ces communautés à vivre en paix dans le respect de leurs spécificités.
Le rapport de la société à l’égard des partis politiques relève encore de l’aventure personnelle, et cette dernière vise généralement un objectif de réussite individuelle. La marchandisation de la politique a ainsi travesti le rapport du citoyen à l’État. Ce qui éloigne d'autant plus l’avènement d'une vie politique constructive et capable de supplanter définitivement nos organisations traditionnelles.
L'offre politique qui est actuellement proposée aux citoyens ne brille pas par sa diversité et se résume souvent à une promesse d'intéressement personnel. Promesse dont la crédibilité et la probabilité sont liées aux chances du parti politique qui les fait d’accéder rapidement au pouvoir.
Les comportements ethnocentrés sont visibles à tous les niveaux de la société, y compris au sein de la classe politique et, encore plus dramatique, dans la vie de nos institutions « républicaines ». On ne voit généralement que l’ethnocentrisme de l'autre, incapables que nous sommes souvent à reconnaître nos propres réflexes en la matière. Le premier rôle de l’État dans un pays aussi divers que le nôtre devrait être de veiller au respect de cette diversité et à la recherche permanente des équilibres qui garantissent la cohésion nationale.
La gestion de la dernière fête de Tahoua Sakola a montré, une fois de plus, les limites de certains acteurs politiques dans leur capacité à placer l’intérêt du pays au-dessus des considérations partisanes. Les manquements constatés à cette occasion sont plus révélateurs d'un véritable malaise national que les déclarations vaguement populistes de politiciens en quête d'accroches électoralistes.
Nier la réalité ethnoculturelle de notre peuple, c'est refuser aux citoyens le droit de faire la promotion de l'apport de leurs communautés à notre identité nationale. Il appartient à l’État et à ses institutions de veiller au respect de la diversité et de créer et préserver les conditions d'un vivre ensemble capable de résister aux assauts des populistes et autres démagogues prêts à tout pour conserver ou conquérir le pouvoir. Il subsiste encore une forme d'hypocrisie qui nous maintient dans un schéma pseudo-républicain dont les ressorts ne contribuent en rien au développement économique et social de nos territoires. Le danger serait de s’enfermer trop longtemps dans cette hypocrisie coupable qui consisterait à produire un discours politiquement correct, alors que la pratique politique et la réalité de l'exercice du pouvoir obéissent à d'autres agendas…
Abdoulahi ATTAYOUB
aabdoulahi@hotmail.com
Temoust
Lyon (France) 20 février 2018