Mali : Une Transition pour quelle refondation de l’Etat ?
La crise multidimensionnelle que traverse le Mali pourrait constituer pour ce pays une occasion singulière de se placer à l’avant-garde des évolutions susceptibles de sortir le Sahel du chaos actuel. Si les autorités de la Transition décident de procéder à une véritable refonte de l’Etat en tirant tous les enseignements des difficultés rencontrées depuis l’indépendance, cela pourrait être une première et un exemple salutaire pour toute la sous-région.
L’entêtement des élites africaines à vouloir transposer des schémas institutionnels produits par des processus historiques et socioculturels différents a fini par engager certains pays dans des impasses existentielles.
Partout sur le continent, les classes dirigeantes se sont contentées de supplanter l’administration coloniale sans se poser la question de la pertinence des modes de gouvernance et de leur adéquation avec les réalités ethnoculturelles des pays. Les communautés qui ont hérité du pouvoir politique ont reproduit finalement les mêmes méthodes que le colonisateur. Cette paresse intellectuelle a largement contribué à déstabiliser les régimes postcoloniaux perçus par les communautés « dominées » comme une perpétuation du système colonial. Les communautés « dominantes » se sont vites confondues aux Etats naissants et les ont façonnés à leur profit, au détriment des autres.
Imposer à un peuple, dépositaire d'une culture et de sa propre Histoire, de se soumette à un autre parce qu'une administration coloniale a décidé de l’enfermer dans des frontières qu'il n’a pas choisies constitue une violation du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.
En imposant ce modèle d’assujettissement à l’Afrique, l’Occident se rend coupable de la destruction d'une multitude de peuples et de cultures qui disparaissent progressivement au profit de ceux que les colons d'antan ont choisis afin de préserver leurs intérêts dans leurs anciennes colonies.
L'humanité se voit ainsi mutilée et appauvrie dans sa diversité et sa richesse au profit d’une vision uniformisante du monde qui le façonne alors pour l’affilier à système d'organisation sociale et économique qui se prétend universel.
L'aliénation est parvenue au point où les victimes s’approprient l’arsenal qui les détruit et sont incapables de se penser en dehors de schémas établis par la colonisation. Vivre en paix et se développer dans son environnement ne paraît concevable en dehors de l'organisation sociale et politique imposée par l’ordre international établi.
Toute forme d'organisation adaptée aux réalités des peuples et de leurs territoires semble impertinente car ne répondant pas aux canons « démocratiques » produits par d'autres réalités culturelles et historiques.
Les pays sahéliens, composés de différentes communautés, pourront être viables et se développer seulement si cette diversité est reconnue et respectée par un État dont la forme et le fonctionnement permettent l’épanouissement des peuples et des cultures.
Les récents événements au Mali montrent clairement que le pays est perçu par certaines élites comme exclusivement bambara et que les autres composantes nationales sont reléguées à une place secondaire dans la perception du sentiment national. L'avenir du Mali se discute désormais essentiellement en bambara en lieu et place du français qui est pourtant la langue officielle consacrée par la constitution afin de garantir une certaine neutralité de l’Etat et de ses institutions entre les multiples langues nationales.
Un leader ou un fonctionnaire malien ne s’exprimant pas en bambara se voit objectivement écarté de toute participation au débat sur l'avenir du pays. Il s'agit là d'une situation qui explique et pourrait légitimer les revendications régionalistes.
La constitution du pays reconnait le même statut aux langues nationales, pourtant la pratique politique la viole constamment en créant une rupture d'égalité entre les citoyens dans leur rapport à l'Etat. Comment les tenants d'un « Mali un et indivisible », qui ne s'élèvent pas contre cette dérive, comptent- ils réaliser l’unité du pays avec une telle discrimination institutionnalisée ?
Étonnant également de voir que cette question, pourtant primordiale pour la construction d'un vivre ensemble solide et pérenne, ne soit pas mise en avant par ceux qui se disputent le leadership national et cherchent à asseoir une paix définitive au Mali.
Quel intérêt en effet pour un peuple de se fondre dans une entité dont le projet tacite est sa propre disparition et dont la seule légitimité est d'avoir été imposée par le colonisateur ?
Ceux qui font une fixation sur Kidal doivent abord s'assurer qu'ils sont capables de s'adresser aux populations de cette région dans leurs langues pour leur expliquer le projet politique qui les concerne.
Si la refonte de l’Etat malien est réellement un objectif de cette Transition, celle-ci devrait avoir l'audace de se poser ces questions et anticiper ainsi les complications qui pourraient naître d'autres options irréalistes ethnocentrées d’une communauté imposant de fait sa culture et son histoire à d'autres peuples, tout autant respectables et désireux de voir leurs identités valorisées et versées au patrimoine commun.
La refondation devrait se situer à ce niveau plutôt qu’à celui de la seule répartition des pouvoirs entre les différents organes institutionnels. Il faudrait d'abord s’accorder sur la manière de prendre en compte la diversité socioculturelle en donnant à chaque composante du pays les moyens et les raisons d’adhérer à un pacte national partagé à même de garantir l'épanouissement et le de développement de tous.
Sans cela, aucune démocratie de façade et autres discours convenus ne sauraient ramener une paix durable au Sahel. Le confort d'un prêt-à-porter institutionnel inopérant risque de maintenir la sous-région dans une instabilité chronique faisant échouer tous les processus actuels et ruinant tout espoir de renouveau.
Abdoulahi ATTAYOUB
Consultant
@attayoub Lyon 28 septembre 2020