Niger : Que disent les élections en cours sur les réalités nationales ?
Niger : Que disent les élections en cours sur les réalités nationales ?
Le processus électoral en cours au Niger occupe les esprits et devient le principal sujet de débat à tous les niveaux de la société. Pas un seul espace public ou privé qui ne soit impacté par ce scrutin qui revêt un caractère déterminant pour l’avenir du pays. Le clientélisme politique est parvenu à constituer l’unique voie pour espérer accéder à une fonction importante ou à un marché public permettant de faire vivre une activité. La classe dirigeante s’emploie à politiser à outrance la société au point que même l’administration n’échappe à cette réalité. Par conséquent la sphère politique achoppe sur le fossé qui subsiste entre les textes qui régissent les différentes institutions et la pratique politique encore éloignée des standards démocratiques à même de garantir une évolution salutaire vers la stabilité et le développement.
Les polémiques qui ont émaillé la campagne électorale au sujet de la nationalité « d’origine » d’un candidat à la présidence de la République ont servi de révélateur quant à la conception que certains Nigériens ont du pays et de leurs concitoyens. Cette vaine polémique a révélé les faiblesses d’un système politique postcolonial qui a catégorisé les Nigériens en fonction de critères subjectifs qui les maintiennent loin d’une citoyenneté partagée exempte de tout préjugé. Certains leaders politiques ont pris le risque de verser dans une sorte de populisme qui ne sert pas le pays car dangereux pour la cohésion nationale. Ils ont donné l’impression de cautionner des préjugés fondés sur le phénotype ou l’appartenance à telle ou telle communauté nationale. Si l’on devait fouiller dans la nationalité « d’origine » de tout un chacun, d’énormes surprises ne seraient pas à exclure ! Ces polémiques ont fait plus de mal au pays que les approximations électorales qui ont été relevées par ci par là dans le déroulement des différents scrutins. Des scrutins dont la qualité de l’organisation, même relative, est à mettre au crédit du président Issoufou Mahamadou.
La classe politique rendrait un grand service au pays en mettant un terme à ce débat sur la nationalité « d’origine » et en revenant sur le terrain du réel débat politique centré sur le bilan de la majorité sortante et les différents programmes proposés par les deux candidats qui s’affronteront au second tour des élections présidentielles. Terrain que la campagne électorale n’aurait jamais dû quitter. Un tel débat aurait mieux éclairé les Nigériens dans leur choix en leur permettant de se forger une opinion sur ce qui mérite d’être consolidé ou à contrario rectifié.
Quoi qu’il en soit, l’amélioration de la qualité de la gouvernance paraît aujourd’hui au cœur des préoccupations du pays. Celle-ci suppose une consolidation des institutions de l’Etat et au premier chef, la justice, qui demeure le parent pauvre de la démocratie à la nigérienne. L’impunité est devenue la règle dès qu’il s’agit d’affaires touchant au sommet de l’Etat. L’indépendance de la justice est le premier indicateur de la santé démocratique d’un pays. L’idée selon laquelle la démocratie se résume à l’organisation d’élections est un leurre qui fait fi d’autres dimensions notamment en matière de respect des libertés, des droits du citoyen et de la responsabilité des gouvernants. Que valent des élections, mêmes libres et transparentes, si par ailleurs les citoyens vivent avec une corruption endémique de l’administration, des injustices et l’iniquité dans le traitement qui leur est réservé par l’Etat ?
Que proposent les candidats pour rendre effective la décentralisation en lui donnant les moyens de fonctionner réellement au service des populations ? Le transfert des compétences et des ressources, la création des conseils départementaux permettraient d’améliorer le fonctionnement et l’action des collectivités, notamment par une mutualisation de certains moyens à l’échelle des départements. Au-delà des slogans et autres incantations verbales, très peu nombreux sont les candidats qui ont véritablement développé une vision pour le pays, évoqué les reformes administratives et politiques nécessaires. La question sécuritaire se résume à des vœux théoriques plus proches de l’adjuration que d’un véritable programme de renforcement de la sécurité des citoyens et de leurs biens.
Comment assurer la sécurité des zones isolées qui font régulièrement l’objet d’attaques de bandits qui rançonnent et assassinent des populations souvent abandonnées à leur sort par l’Etat. Ce qui se passe dans la région de Diffa, et plus récemment dans l’Azawagh, de Tillabéry à Tassara en passant par Tillia devrait inquiéter au plus haut point les politiques qui se proposent de présider aux destinées du pays. Il y a urgence à expliquer aux populations ce que l’Etat compte faire pour les mettre à l’abri d’une menace qui continue à se structurer et à gangréner le territoire. Situation qui nécessite une large anticipation de l’Etat afin de couper court aux initiatives isolées qui pourraient s’imposer à ces populations. À défaut d’un traitement responsable de cette question, une prolifération anarchique d’initiatives d’autodéfense risque d’engendrer une confusion difficile à contrôler ultérieurement par l’Etat.
Il faut espérer que la campagne du second tour de cette élection présidentielle s’oriente enfin davantage vers les préoccupations de la population plutôt que se fourvoyer dans des combinazione qui desservent la politique et la maintiennent à un niveau mercantiliste qui travestit le suffrage populaire et retarde l’avènement de pratiques plus saines et susceptibles de faire avancer le processus démocratique.
Au Niger la bonne gouvernance suppose d'abord le respect de la diversité et l'équité dans l'accès aux moyens de l'État.
Pour créer le Niger, l'administration coloniale française a réuni des territoires occupés et administrés par des communautés qui cohabitaient selon des rapports politiques économiques et sociaux résultant des leurs propres dynamiques. La colonisation a dépossédé ces communautés de leur souveraineté pour leur imposer un nouvel ordre dont le secret appartient à ceux qui l’ont imaginé. Soixante ans après l'indépendance, le pays peine encore à trouver ses marques et à stabiliser les équilibres nécessaires à sa viabilité politique et donc à son développement économique social et culturel. La bonne gouvernance consiste d'abord à édifier les conditions d'un vivre ensemble reposant sur la justice et le respect des réalités des populations
La démocratie demeure un idéal commun aux citoyens. Encore faudrait-il définir ce citoyen lui-même. Au Niger cela n'est pas encore le cas. Les statistiques ethniques n'ont plus été publiées depuis 20 ans pour des raisons obscures mais qui ne trompent en réalité personne. Le pays continue à fonctionner sur une distribution arbitraire du poids des communautés qui est pour le moins contestable à plus d'un titre. Les élections en cours rappellent à tout un chacun que les considérations ethniques demeurent le premier repère politique et donc un des leviers les plus usités pour espérer engranger des voix. Nier cette réalité c'est éloigner la possibilité de faire avancer le pays vers une gouvernance apaisée première étape vers la démocratie.
Si le Niger occupe encore la dernière place au monde en termes de développement humain c'est aussi parce que les Nigériens ne savent pas encore sur quel sentiment patriotique devait reposer le développement du pays. La gestion de ces 10 dernières années n'est pas seule responsable de ce rang peu honorable. Il résulte d'une mal gouvernance dont les racines plongent dans la structure même du système politique mis en place au lendemain de l'indépendance du pays.
Abdoulahi ATTAYOUB
Consultant Lyon 7 janvier 2021
@attayoub