Sahel : Les paradoxes du néo-panafricanisme.
Depuis quelques années, nous assistons à l’émergence d’un nouveau panafricanisme caractérisé par une influence grandissante des franges les plus populistes et extrémistes de ses militants qui fondent leur idéologie sur des fantasmes identitaires étroits niant les réalités objectives du continent. La virulence de leur discours contre la France et l’Occident cache mal l’absence de projet politique inclusif susceptible de contribuer à sortir le continent de la marginalisation. Hélas ! la vision unitaire et intégrée des pères du Panafricanisme semble délaissée.
Le nouveau discours panafricaniste développe une rhétorique étriquée fondée sur une conception par trop réductrice de l’africanité. Il ne reprend que très superficiellement et dénature l’héritage légué par les premiers théoriciens qui ont milité pour une réelle émancipation africaine tournée vers une unification du continent gage d’une participation effective dans le concert des Nations.
Le panafricanisme dans sa forme idéologique ne pourra contribuer à l’essor du continent sans une acceptation exempte d’ambiguïté de la diversité de nos peuples et une vision réaliste de leurs intérêts particuliers et collectifs. Cela suppose de déconstruire les schémas de pensée qui maintiennent les élites dans un inhibant complexe limitant leurs capacités à se remettre en question et à inventer une voie de développement authentiquement africaine pouvant amener le continent à espérer être autre chose qu’une réserve de matières premières pour le reste du Monde.
Le courant actuel, essentiellement dans les pays francophones et notamment au Sahel, élabore une approche idéologique dont certains aspects vont à l’encontre des objectifs généralement affirmés. Le discours se limite à une dénonciation légitime mais parcellaire des travers qui ont trop longtemps caractérisé les relations entre l’Occident et l’Afrique. En grossissant l’image, il se cantonne aux relations entre la France et ses anciennes colonies. La nature des relations militaro sécuritaires prend le pas sur les débats plus globaux autour de la question du FCFA et du rôle des multinationales dans un contexte de mondialisation. Ces relations n’ont pas su s’adapter à l’évolution du Monde et à l’aspiration des peuples africains à reprendre le contrôle de leur propre destin.
Une autre faiblesse du panafricanisme actuel réside paradoxalement dans son incapacité à se penser en dehors des schémas qui ont morcelé le continent en créant ex-nihilo des entités étatiques dont la viabilité est hypothéquée par un héritage colonial qui rendait problématique leur gouvernance. Pour être crédible et offrir une voie attractive à l’ensemble des Africains, ce nouveau panafricanisme devrait commencer par s’attaquer aux chaines mentales qui enferment le continent dans une conception de la gouvernance inadaptée à ses réalités socioculturelles. En faisant appel à d’autres puissances pour supplanter la France, ces néo-panafricanistes ne cherchent pas à se libérer d’un maitre qui les aurait dominés et exploités mais simplement à en changer et montrent ainsi leur incapacité à interroger la responsabilité des élites de leurs pays depuis des décennies dans la dégradation et l’effondrement des Etats actuels.
Ces derniers mois, le discours des éléments les plus radicaux de ce panafricanisme populiste et rudimentaire se résume à faire une fixation sur Kidal et les Mouvements politico-militaires de l’Azawad. Encadrés par leurs mercenaires idéologiques, ces derniers s’acharnent à ne voir dans la question de l’Azawad qu’une conséquence des évènements de Libye et de la volonté prêtée à la France de « partitionner le Mali », occultant ainsi les revendications nationales exprimées par les différentes communautés de l’Azawad avant même la création du Mali dans ses frontières actuelles. Aujourd’hui, certains militants, qui se réclament pourtant du panafricanisme oublient, sciemment ou non, que c’est bien la France qui a modelé les pays dans leurs configurations actuelles, en plaçant notamment l’Azawad sous la coupe de « Bamako ». Et leur principal grief fait à la France aujourd’hui consiste à lui reprocher de ne pas avoir ramené l’Armée malienne à Kidal à la suite de l’opération Serval.
L’ethnocentrisme des systèmes politiques actuels n’autorisera pas une évolution pacifique aussi longtemps que les communautés qui se confondent aux Etats n’auront pas accepté de partager la décision politique et cohabiter de manière intelligente avec les autres. Aujourd’hui les rôles sont inversés et, sont taxés d’ethnocentristes ceux qui mettent le doigt sur le véritable ethnocentrisme qui ne réside pas dans les discours mais dans la réalité du fonctionnement des institutions de ces Etats. La question des langues nationales et du respect des identités des communautés est au centre des nouveaux pactes à trouver pour un vivre ensemble respectueux des diversités. Ceux qui continuent à ne penser les pays qu’à travers leurs communautés sont les vrais séparatistes qui finiront par faire exploser les frontières actuelles. Ces pays ont besoin de purger leur mémoire collective des errements postcoloniaux qui ont largement contribué à la déliquescence actuelle. Il faut que les peuples qui vivent dans l’espace sahélien soient réellement convaincus de leurs intérêt objectifs à vivre sous les mêmes toits institutionnels. La crise que connait le Mali, par exemple, depuis des décennies, s’explique essentiellement par le refus de son système politique à admettre la légitimité des revendications de l’Azawad (Nord) et à vouloir imposer et consolider le schéma sociopolitique légué par la France autour d’une communauté qui a fini par oublier son poids politique et géographique réel à l’arrivée de la colonisation dans cette partie de l’Afrique.
Les pays africains qui paraissent aujourd’hui prendre le chemin de leur refondation peuvent difficilement faire l’économie d’une introspection sans complaisance, préalable à toute nouvelle manière de se penser. La refondation ne saurait se faire sur la base de systèmes construits sur le mensonge et la domination à la faveur de l’accompagnement de cette même France qui est rejetée aujourd’hui. En effet, ce que certains activistes reprochent à la France, c’est de ne pas continuer à couvrir « convenablement » des pouvoirs qu’elle avait installés à l’issue de la colonisation. Les frontières actuelles ont mutilé des peuples qui se voient menacés par des schémas imposés par la communauté internationale. Les populations qui ont été victimes de massacres ethniques depuis les indépendances attendent la reconnaissance officielle de ces forfaits, la réhabilitation des victimes et l’identification des responsables. Il sera en effet difficile de refonder des Etats sur des injustices qui cimentent aujourd‘hui la mémoire collective et consolident une conscience opposée au déni et au mépris affichés par les systèmes en place.
Au Mali et au Niger, les gesticulations actuelles correspondent essentiellement à une réaction conjoncturelle et opportuniste destinée à la préservation de ces mêmes systèmes construits par cette même France tant décriée. Il convient par conséquent d’oser une réflexion rénovée sur la construction d’un vivre ensemble réellement pensé pour servir les aspirations des peuples à se lancer enfin sur la voie de l’épanouissement et du développement. Autrement, ces peuples continueront à neutraliser leurs énergies créatrices et à prêter le flanc aux manipulations d’acteurs sans scrupules dont les intérêts ne laissent que rarement place à ceux des autres. La refondation de l’Etat est une exigence vitale pour nombre de pays sahéliens qui jouent désormais leur survie en tant qu’entités stables dans leurs frontières actuelles. Les systèmes politiques en place ont par conséquent le choix entre une évolution pacifique et consensuelle et des crises dont l’issue ne saurait être prévisible. Cette refondation des Etats ne saurait être pilotée par les systèmes en place au risque de biaiser son effectivité et ressembler davantage à un toilettage qui leur permettrait au contraire de se consolider en exaspérant ainsi les frustrations et tensions qui traversent ces pays. Une prise de conscience rapide de cette réalité éviterait à certains pays de sombrer dans l’inconnu et exposer ainsi leurs populations aux désordres suicidaires et au chaos.
Le rejet de l’ordre international actuel devrait s’accompagner d’une nouvelle offre de partenariat avec le monde fondée sur une approche responsable et pragmatique des relations internationales. Pour cela il faudra certainement beaucoup de réalisme et moins de fougue belliqueuse aussi légitime soit elle ! En matière de relations internationales, le rôle qui revient aux acteurs se mesure souvent à leur capacité à se surpasser et à forcer le respect des autres partenaires. Il serait naïf de croire qu’un remplacement mécanique des partenaires suffirait à des résultats susceptibles de répondre aux attentes des populations. Pour conserver ses atouts comme partenaire traditionnel et consolider ses liens avec ces anciennes colonies, la France se doit à l’évidence de mettre à jour et adapter ses pratiques de coopération afin de mieux prendre en compte les intérêts des peuples. Le reproche le plus pertinent qui pourrait être fait à la France est d’avoir bâti des semblants d’Etats autour de certaines communautés et d’avoir contribué à la marginalisation d’autres, créant de fait des assemblages instables et éphémères qui ne sauraient faire nations. En protégeant pendant des décennies ces systèmes ethnocentrés au mépris des identités, de l’Histoire et de la Géographie, la France a fait des choix de court terme qui ont bridé le développement et la qualité de ses relations avec les peuples de la sous-région. Le sentiment antifrançais pourrait ainsi prendre racine dans des perceptions contradictoires du rôle de la France dans les politiques postcoloniales au Sahel.
Abdoulahi ATTAYOUB
Consultant Lyon le 24 01 2022