Sahel : l’amorce d’une reconfiguration ?
Nous assistons actuellement à une évolution spectaculaire de la situation politico sécuritaire au Sahel. Le départ de l’opération Barkhane du Mali a laissé le champ libre à différents groupes armés qui pullulent dans la sous-région. L’Etat malien ayant littéralement disparu de certaines zones, ces groupes armés protéiformes s’affrontent aujourd’hui pour le contrôle des territoires. En plus de la dimension religieuse, mise en avant par certains, il apparaît de plus en plus évident que le véritable enjeu réside surtout dans le contrôle d’espaces en en modifiant au besoin l’occupation traditionnelle. Le mode opératoire et le caractère sélectif du ciblage des victimes en disent beaucoup plus sur leur véritable agenda que la rhétorique idéologique affichée pour habiller le projet politique. Aussi, la légitime défense face aux groupes armés jihadistes, ne devrait pas éclipser la recherche d’une solution de fond aux problèmes structurels qui servent souvent de points d’accroche aux différents agendas extérieurs à la sous-région.
Par sa portée politique, le dernier appel du général Elhaji Ag Gamou à la jeunesse touarègue pour « venir défendre Gao » constitue un autre tournant dans l’évolution des approches politico-sécuritaires au Mali. En prenant la responsabilité de cet appel, le Général Gamou a certainement voulu signifier, une fois de plus, qu’il mesure le caractère extrême de la menace qui pèse sur la région et l’ensemble des communautés du Nord. Son appel met également en lumière l’incapacité de l’Etat à assurer la sécurité des espaces et des personnes, mission qui constitue pourtant sa fonction première, dans laquelle réside la légitimité des institutions étatiques et de leurs décisions. De plus, son message a été, d’une certaine manière, conforté et appuyé par les sociétés civiles de Gao et Ansongo dans leur adresse à l’Etat central pour qu’il assume pleinement ses responsabilités régaliennes vis à vis des populations. On assiste aussi probablement à la naissance de l’espoir que l’extrême gravité de la situation finira par rapprocher davantage les communautés dans une prise de conscience de leur sort commun face à l’adversité faisant ainsi échec aux manœuvres divisionnistes qui servent en réalité des intérêts étrangers à l’Azawad.
A l’évidence, la souveraineté des peuples semble être aujourd’hui la seule qui mérite finalement que l’on s’engage pour elle, certains États sahéliens ayant démontré leur faillite et leur inanité ainsi que l’échec de leurs élites à proposer des réformes structurelles et des projets de sociétés viables reflétant la diversité ethno culturelle de chaque pays. Le caractère ethnocentré de certains Etats, autour de quelques, voire d’une communauté, ignore les autres composantes de la population et les condamne par la disparition de leurs identités. Le débat actuel autour du projet de constitution au Mali est assez révélateur de cette tendance notamment à travers la définition que proposent certains de ce qu’ils appellent « le Nouveau Mali ».
Les peuples sahéliens gagneraient à renouer leurs liens traditionnels, longtemps travestis par des élites corrompues à travers des Etats dont la survie dans leur forme actuelle ne ferait qu’enfoncer plus encore le Sahel dans le chaos et les interminables guerres intestines. L’avenir est à réinventer ensemble dans le respect effectif de la diversité et de la coexistence pacifique des peuples qui ont toujours partagé cet espace.
Il devient de plus en plus manifeste que la communauté internationale a échoué à créer des Etats-nations dans cette région sahélienne, faute d’avoir suffisamment pris en compte les réalités humaines et géohistoriques dans la gouvernance de ces espaces. Aucune initiative crédible n’est encore perceptible pour désamorcer le processus actuel, qui a toutes les chances d’aller vers une reconfiguration géopolitique de cet espace, avec la tentation pour chaque communauté de se réapproprier son espace traditionnel. Or, à présent, presque toutes les initiatives des Etats et de la communauté internationale visent encore à préserver des systèmes politiques dont la survie devient de plus en plus coûteuse en vies humaines et en cohérence démocratique. La légalité internationale a longtemps servi aux Etats post coloniaux à imposer et asseoir l’hégémonie de systèmes oligarchiques qui n’ont pas su évoluer avec le temps. Cet état de fait semble aujourd’hui submergé par la soif de souveraineté et de liberté des peuples lésés, qui se prévalent de leur légitimité à réclamer le respect de leurs droits et à déterminer les voies et moyens de l’épanouissement et du développement.
Une refondation réelle et totale de l’Etat dans certains pays, incluant des structures politiques véritablement représentatives, s’impose de plus en plus par la volonté des peuples à être partie prenante des mutations actuelles et se défaire d’élites politiques établies hors sol, encore accrochées à un héritage colonial dont elles ont profité, quand bien même elles le décrieraient par ailleurs aujourd’hui.
La communauté internationale se doit d’accompagner les évolutions qui s’imposent car les systèmes post coloniaux se sont avérés inappropriés aux réalités socioculturelles de la bande sahélo saharienne.
Dans la gestion de la question touarègue, par exemple, les Etats concernés et la communauté internationale ont toujours privilégié une réponse, de façade, aux symptômes du problème en neutralisant par diverses stratégies les aspirations des populations, abandonnées parfois par certains leaders devenus opportunément supplétifs des systèmes qu’ils disaient combattre. Les Etats s’abstiennent ainsi de remettre en cause leurs structures de gouvernement et les dysfonctionnements de leur gouvernance politique qui constituent pourtant la cause de ces crises. Très souvent, les légitimités traditionnelles sont tenues à l’écart des décisions alors qu’elles demeurent les seules garantes de la stabilité des territoires par la légitimité que les populations leur accordent. Cette coupable absence de volonté des États à traiter le problème à sa racine explique, par conséquent, l’instabilité structurelle et les cycles de rebellions observés depuis les indépendances.
Abdoulahi ATTAYOUB
Consultant
Lyon (France) 10 novembre 2022