Niger : PNDS, les dangers de l’hypertrophie en politique
A la faveur de son Congrès du 24 et 25 décembre 2022, le Parti nigérien pour le développement et le socialisme (PNDS), principal parti de la coalition au pouvoir au Niger, a montré sa puissance et l’étendue de son emprise sur l’ensemble du paysage socio-politique du pays. Au pouvoir depuis plus de dix ans, il a su s’imposer comme principale force politique du pays en faisant régulièrement mentir les rumeurs persistantes sur sa dislocation imminente. Cependant, les querelles de leadership ainsi qu’une pratique politique trop incertaine font planer le risque d’une perte de repères qui pourrait être désastreuse à terme pour l’avenir du parti. En effet, aux prises avec les réalités du pouvoir et la difficulté à contenir les assauts d’intérêts particuliers, le PNDS a cédé du terrain sur ses idéaux, qui en faisaient pourtant l’incarnation du progrès dans la voie d’une vie politique pluraliste moins ethnocentrée et surtout dans l’affirmation des valeurs de liberté, de justice et de solidarité. Le Parti représentait un espoir d’innovation en matière de gouvernance et d’amélioration des relations entre le citoyen et la République.
Hélas, le PNDS tend finalement à reproduire le même schéma que l’ancien parti unique qui se confondait allègrement à l’Etat et dont les militants se substituaient à ses agents dans toutes les sphères de la vie publique. Cette dérive menace aujourd’hui le Niger et constitue un défi pour le Président Bazoum, confronté à la puissance de ces mauvaises habitudes souvent encouragées, voire suscitées, par des intérêts aux relents de plus en plus mafieux. Ces courants arrivistes ne se soucient guère de l’action du parti autrement que comme instrument au service de leurs intérêts particuliers. A ce jour, le PNDS ne parvient toujours pas à insuffler une gouvernance à la hauteur des attentes des citoyens bien que le parti ait assidûment prôné une approche moderne et avant-gardiste de la pratique politique. Son projet promettait de donner un sens à la citoyenneté en faisant de chaque Nigérien un potentiel acteur de la vie publique et du développement en général. Cette orientation permettrait pourtant une crédibilisation des institutions de l’Etat par une vigilance accrue sur leur efficience et leur représentativité.
Par sa posture et les moyens que donne l’exercice du pouvoir, le parti recourt régulièrement à une politique de débauchage de militants d’autres formations politiques. Cette pratique connue sous le nom de « concassage », destinée à la fois à affaiblir les concurrents potentiels mais également à réduire le poids des autres acteurs de la vie publique susceptibles de constituer une menace pour le pouvoir en place, a fini par désorganiser aussi bien les autres partis politiques, y compris alliés, mais aussi les légitimités traditionnelles qui cimentent pourtant le corps social. Cette situation donne une image désastreuse de la politique, réduite aujourd’hui à un marché d’intérêts partisans et particuliers, parfois aux antipodes de ceux de la collectivité et de la cohésions nationale. En persistant dans cette stratégie le PNDS risque une forme d’hypertrophie politique qui pourrait à terme le conduire à sa perte.
Le pouvoir éloigne parfois des réalités et tend à devenir une fin en soi. C’est le piège qui guette quand les contrepouvoirs ne permettent plus de voir les choses autrement que comme on voudrait qu’elles soient. La tentation d’un pouvoir absolu légitimé par une prétendue adhésion du peuple a parfois été fatale à celui qui se laisse séduire par la facilité et la jouissance de l’exercice du pouvoir sans contraintes. Cependant, une telle légitimité n’est souvent qu’une illusion produite par un mélange de peur et d’opportunisme qui finissent par remplacer le discernement et les convictions sincères.
Le pays a besoin d’un paysage politique diversifié offrant une possibilité d’alternance réelle. Il n’est pas sain d’embrigader l’ensemble de la société et la mettre en coupe réglée afin de pérenniser son pouvoir. Le PNDS s’honorerait d’une politique au seul service du pays et gagnerait à moins se focaliser sur lui-même et sur les combinazione de pouvoirs. La quasi-absence d’opposition est un signe de mauvaise santé politique du pays. La politisation à outrance de l’administration et de l’ensemble des rouages de l’économie constitue une anomalie qui contraint les acteurs de la vie publique à s’agglutiner dans et autour du PNDS dans l’espoir de capter quelques avantages. Plus on est loin du Parti, moins on a de chances d’accéder à un poste dans l’administration ou à un marché public. Les tenants d’une vision vertueuse et porteuse de projet véritablement politique sont manifestement encore trop minoritaires pour faire la différence et peser face à des camarades dont les pratiques sont plus en phase avec les coutumes héritées de l’ancien système post indépendance. En laissant perdurer cette situation, le PNDS risque un réveil brutal et douloureux comme souvent en pareilles circonstances.
La classe politique est comptable de la qualité du débat public. Il lui appartient de contribuer au développement d’une culture politique féconde. La bonne santé politique d’un pays se mesure à sa capacité à faire vivre les diversités et assurer l’épanouissement de la population dans la cohésion et le respect des équilibres constitutifs du vivre ensemble des citoyens. Le dirigeant ne doit pas confondre le discours militant galvanisant nécessaire dans certaines étapes de la compétition et la pratique du pouvoir qui doit permettre de faire avancer le pays et laisser une empreinte capitalisable pour les générations futures. L’affairisme, la gabegie et le clientélisme minent le tissu social et neutralisent les efforts vers une vie politique apaisée au service de l’intérêt général.
La crédibilité de l’Etat et la confiance que chacun doit pouvoir placer en lui sont un impératif absolu, surtout quand les moyens font défaut pour remplir les missions les plus essentielles à même de susciter l’adhésion des citoyens à un contrat national qui garantisse d’abord la sécurité des personnes et des biens et assure le respect des droits fondamentaux individuels et collectifs. L’énergie et les quelques moyens du pays sont pourtant engloutis dans des manœuvres clientélistes et de « consolidation » à courte vue de cette situation d’accaparement total de la légitimité nationale conféré par le pouvoir. Le raidissement de la gouvernance aboutit au rétrécissement du débat contradictoire et inhibe le rôle que pourrait jouer l’opposition pour faire face aux défis nationaux et internationaux.
Le Président Bazoum Mohamed a besoin de disposer de moyens politiques permettant de rectifier à temps certaines tendances et retrouver les fondamentaux du parti pour espérer laisser un bilan à la hauteur des attentes suscitées. En se souciant essentiellement de son emprise, la nomenklatura du PNDS court le risque de s’éloigner davantage de ses engagements vis-à-vis du pays.
Abdoulahi ATTAYOUB
Lyon (France) 03 janvier 2023