Niger : Libérer les idées pour une transition féconde
Niger : Libérer les idées pour une transition féconde
Un front patriotique ne pourra émerger et convaincre que s’il est adossé à une dynamique citoyenne inclusive irriguée par une légitimité puisée dans les profondeurs du pays reflétant sa diversité socioculturelle.
Six mois après le coup d’Etat du 26 juillet 2023, le Niger donne l’impression de stagner dans un tâtonnement mortifère qui commence à semer le doute dans l’esprit des soutiens les plus enthousiastes à la promesse de changement. Le caractère singulier de ce coup d’Etat, illustré par la détention inédite de l’ancien Président Bazoum Mohamed, ainsi que les rumeurs persistantes sur des divergences d’orientation au sein du Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie (CNSP) rendent difficile toute lecture dépassionnée de l’action politique des autorités actuelles. Les raisons de ce coup d’Etat, comme de ceux qui l’ont précédé, sont à rechercher dans les arcanes des jeux de pouvoir au travers des ambitions et des intelligences politiques des principaux acteurs du pays.
Les Nigériens, aux prises avec les conséquences des sanctions de la CEDEAO, s’impatientent d’entrevoir enfin le bout du tunnel et l’ébauche de meilleures perspectives. La plupart des actes posés jusqu’ici ne suffisent pas à rassurer et à convaincre d’une vision salutaire pour le pays. La commode tentation du populisme et le dévoiement de plus en plus manifeste de la légitimité nationale afin de cultiver une vision étriquée des réalités nationales pourraient se montrer contreproductifs et générer plus de divisions que de cohésion nationale.
Ayant pris le pouvoir par la force, les auteurs du coup d’Etat se doivent avant tout de garantir l’unité et la sécurité en empêchant toute instrumentalisation de la légitimité nationale par des intérêts particuliers, qu’ils soient claniques, ethniques ou régionaux. Les risques d’une définition non inclusive du nouveau patriotisme semblent se profiler et menacent d’hypothéquer les efforts de ceux, parmi les membres du CNSP, qui souhaitent sincèrement engager le pays dans une nouvelle voie, réellement prometteuse pour sa stabilité, son développement et sa bonne gouvernance.
La diversification des partenaires étrangers n’étant pas une nouveauté, elle ne saurait constituer une fin en soi tenant lieu de projet politique. Elle ne pourra être réellement porteuse d’avenir que si le pays a su au préalable édifier des institutions et dégager un objectif de développement adapté aux attentes de l’ensemble des populations du pays. La souveraineté nationale suppose l’élaboration d’un idéal autour d’une vision partagée du récit national.
Ceux qui ont tenu pendant des mois « le rond-point de l’escadrille » en tant que symbole de la souveraineté retrouvée, s’autoproclamant « Front Patriotique » porteur de l’expression du peuple et s’en octroyant unilatéralement le monopole, s’offusquent aujourd’hui de l’activisme de la DCTR (Dynamique Citoyenne pour une Transition Réussie) qui se veut également « société civile », implantée sur l’ensemble du territoire national, avec une vision autre du patriotisme et de l’intérêt du pays. Ces deux courants, soutiens du CNSP, seront appréciés à l’aune de leur capacité à incarner un patriotisme intégratif dont pourraient se réclamer tous les Nigériens sans distinction particulière. Les affinités politiques des uns et des autres ne sauraient constituer un argument disqualifiant dès lors que le débat demeure dans le cadre du respect et de la compétition des idées.
Le CNSP gagnerait à fixer rapidement un cap raisonnable pour le retour du pays à une vie politique organisée dans un ordre constitutionnel rénové et amélioré. Cette transition sera jugée sur la nature des changements apportés aux textes et aux pratiques dont la finalité est de mettre le pays à l’abri des abus de la mal-gouvernance, souvent à l’origine des crises institutionnelles. Les Assises nationales inclusives annoncées doivent être l’occasion d’une réelle refonte de l’organisation des institutions de l’Etat. Cette étape est cruciale car de sa qualité dépendra la stabilité politique du pays.
La force des organes issus de ces assises reposera essentiellement sur la légitimité des délégués à incarner la volonté réelle du peuple. Le choix de ces personnes constitue par conséquent le premier marqueur qui indiquera l’orientation que le CNSP souhaite donner à cette transition. Un gouvernement robuste constitué dans un esprit d’ouverture et d’équilibre devrait bénéficier de la confiance lui permettant de mener à bien sa mission. Il s’agira en effet de conduire une transition apaisée dans l’unique objectif de redresser le pays à la lumière des expériences des décennies passées.
Pour cela, le CNSP doit se garder de céder à la facilité du populisme qui éloigne le pays des efforts nécessaires à un sursaut patriotique réellement national. Il appartient à ceux qui assument l’autorité de l’Etat de s’appuyer sur les équilibres fondamentaux qui seuls peuvent garantir la cohésion nationale à long terme. La fuite en avant se résumant à ramener les problèmes du pays à l’appréciation des rapports avec la communauté internationale ne suffira pas à le sortir de la crise actuelle et accentuera un isolement international intenable dans la durée. La souveraineté se traduit davantage par la capacité d’un pays à bien négocier ses partenariats plutôt qu’à rompre les relations avec une radicalité qui pourrait atteindre ses limites sans résultats probants. Le Niger est en droit de veiller au respect de sa souveraineté et d’entretenir des rapports avec tous les pays avec lesquels un partenariat pourrait s’avérer utile à ses intérêts. En matière de relations internationales, il existe des règles dont une transgression hasardeuse peut mener à des impasses diplomatiques et des conséquences dommageables pour les intérêts objectifs du pays.
Le recours à des influenceurs de réseaux sociaux, ne représentant qu’eux-mêmes, leurs propres intérêts ou ceux de qui les stipendient, accueillis avec les honneurs, inquiète légitimement sur la vision du CNSP et sa capacité à ne pas se laisser entraîner dans des impasses populistes improductives voire dangereuses. Les égards excessifs dont ont bénéficié ces activistes ont pu inquiéter aussi par ce qu’ils pourraient révéler d’approximations idéologiques et politiques de ceux qui promettent de redresser le pays par une meilleure gouvernance et des pratiques innovantes dans l’animation de la vie publique. Le Niger a ses spécificités sur lesquelles étayer les jalons de sa propre voie vers la réalisation de son peuple. Les slogans démagogiques à l’emporte-pièce et les opérations de communication ne suffiront pas à mettre le pays sur le chemin de la bonne gouvernance et de la stabilité. Pour certains pseudo-panafricanistes, le souverainisme se résume à un changement de tutelle, affichant ainsi la difficulté à s’imaginer réellement affranchis de tout paternalisme dominateur et l’incapacité à questionner l’architecture d’un pays, non bâtie selon la volonté des populations qui le composent.
L’expérience politique, de ces dernières années, montre qu’aucun des courants qui aspirent à animer la vie publique ne peut se prévaloir d’un quelconque crédit en matière de bonne gouvernance. En choisissant de s’adresser à l’ensemble des Nigériens, par une campagne de sensibilisation dans tout le pays, la DCTR a marqué un point et mis en évidence, en creux, les faiblesses de l’activisme « patriotique » cantonné depuis le 26 juillet à Niamey et à quelques groupes agissants.
Abdoulahi ATTAYOUB
Lyon (France) 25 janvier 2024
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