Niger : Transition et refondation, l’ordre constitutionnel en question.
Un an et demi après l’arrivée au pouvoir du CNSP (Conseil national pour la sauvegarde de la patrie), les Nigériens s’impatientent de découvrir enfin les contours de la Transition qui devra jeter les fondements d’une nouvelle étape de la vie politique du pays. Les événements du 26 juillet 2023, qu’ils soient réellement fomentés ou résultant d’un emballement non contrôlé, peuvent constituer une occasion salutaire pour un nouveau départ dans l’espoir de l’avènement d’une meilleure gouvernance politique du pays. Le pays était en effet dans une telle situation de désordre démocratique qu’un changement devenait nécessaire pour y mettre un terme afin d’éviter le pire et les Nigériens n’avaient assurément pas le sentiment de vivre un ordre constitutionnel démocratique et vertueux.
Il revient par conséquent au CNSP d’imaginer une autre forme d’organisation permettant l’émergence d’une culture politique fondée sur les valeurs constitutives d’une véritable vie démocratique, caractérisée par le respect des libertés, l’égalité des droits et l’accès équitable aux ressources du pays et aux services de l’Etat. Le principal objectif devra être la refondation de l’Etat afin de le rendre plus efficient et apte à animer le débat public dans le seul but d’améliorer les conditions de vie de la population et l’avènement d’un véritable Etat de droit. Les militaires, qui ont largement investi les différents rouages de l’Etat depuis leur prise de pouvoir, pourront alors retourner dans leurs casernes avec le sentiment d’avoir favorisé l’avènement d’un authentique processus démocratique.
Les militaires ne doivent pas se laisser impressionner par certains discours opportunistes sur la démocratie et l’ordre constitutionnel. Certes, l’Armée n’a pas vocation à se substituer durablement à la classe politique mais si un ordre constitutionnel devait servir à couvrir des méthodes mafieuses qui gangrènent la société et servent les intérêts de clans sans scrupules, alors il n’y aurait pas à le regretter.
Des élections de façade ne répondant qu’aux injonctions habituelles de la bien-pensance internationale et les slogans autour du retour à un ordre constitutionnel imprécis ne sont en réalité qu’une instrumentalisation de l’idéal démocratique.
Les Nigériens ont expérimenté les limites du verbiage politicien qui a fini par saborder l’unité du pays et l’espoir d’un avenir meilleur. Ils aspirent au respect, à la justice et à une gouvernance qui les unit et leur donne la motivation nécessaire pour affronter les défis sécuritaires et de développement. Que cette gouvernance soit l’œuvre de civils ou de militaires ne semble pas être leur première préoccupation.
En effet, il est arrivé en Afrique ou ailleurs que des régimes militaires redressent un Etat à la dérive et fassent mieux que les civils. La population pourrait davantage adhérer à un régime militaire éclairé par le souci de justice et d’équité dans la gestion des affaires d’un pays plutôt qu’à un Pouvoir civil marqué par la corruption, la gabegie et la restriction des libertés. Le pays a besoin d’une vie politique vertueuse mue par le souci commun de l’intérêt général. Aussi, convient-il à présent de lancer les bases d’une nouvelle ère dont le maître mot devra être la bonne gouvernance. Gouvernance qui respecte les communautés et les citoyens.
Afin de convaincre, le CNSP gagnerait à clarifier davantage ses intentions et à indiquer les contours qu’il souhaite donner à la Transition. Il devra annoncer un chronogramme réaliste qui laisse le temps d’une refondation des institutions de l’Etat répondant aux attentes d’un peuple déboussolé par des pratiques politiques qui ont travesti et dégradé l’idéal démocratique. Refondation qui aura donc tiré les leçons des errements des régimes précédents. Si la Transition actuelle dont les organes devront être installés avec rigueur, permet au pays d’inventer une forme d’organisation adaptée et fonctionnelle, alors elle aura réussi sa mission. Des mesures fortes destinées à donner un nouveau souffle à la Transition sont nécessaires afin d’entretenir l’espoir de sa réussite. Cela nécessitera un gouvernement de combat et l’installation rapide d’organes dont la qualité et la légitimité ne sauraient être contestées.
Le Forum inclusif devra tenir ses promesses et créer les conditions d’une véritable refondation des institutions de de la République. L’expérience capitalisée en matière de gouvernance depuis la Conférence nationale devra servir de point d’appui à un renouveau salutaire dans la quête d’une pratique politique réellement au service du peuple souverain. La confiance du peuple procède d’une perception positive des intentions des dirigeants à travers des actes concrets au service du bien-être commun. Cette confiance est indispensable à la qualité de l’adhésion des citoyens à toute politique publique. L’impunité, par exemple, dont jouissent des personnes mêlées à des malversations largement documentées, pourrait altérer la confiance du peuple et dégrader l’image de cette Transition en laissant prospérer l’idée que seuls les acteurs changent mais que les pratiques perdurent.
Sur le plan international, le CNSP devra se méfier davantage de la dérive populiste encore entretenue par certains de ses soutiens et qui risquerait de pousser le pays à s’éloigner du chemin du redressement et à l’isoler inopportunément du concert des nations. Cela prive le pays de la possibilité de donner un sens au combat pour une réelle souveraineté fondée sur l’affirmation de ses intérêts et une conscience responsable des limites inhérentes aux relations internationales. La diversification des partenariats nécessaire à la consolidation de la souveraineté nationale en matière de politique étrangère constitue également un levier déterminant pour l’intensification des échanges gagnants-gagnants fondés sur le respect mutuel.
Abdoulahi ATTAYOUB
Consultant
Lyon (France) 27 novembre 2024