Niger – Refondation : défis d’une ambition nationale
À la différence de ses voisins engagés dans des transitions politiques à durée indéterminée, le Niger a fait le choix audacieux d’une refondation structurelle et profonde de l’État. Une telle entreprise impose rigueur, vision et constance dans la conduite des réformes institutionnelles, de la gouvernance publique et du projet de société. Comme au Mali et au Burkina Faso, une certaine opacité demeure quant au calendrier, révélant une tension entre impératif d’efficacité et exigence de transparence.
Refonder, c’est d’abord questionner nos représentations, revisiter les fondements de l’État et reconstruire le lien entre gouvernants et gouvernés. Il s’agit de remettre l’action publique au service exclusif du peuple nigérien, dans toute sa diversité. Cet engagement suppose de sortir des zones de confort, d’affronter les réalités sociales et de reconnaître que l’unité nationale ne saurait prospérer sans justice, équité et reconnaissance mutuelle. L’État doit redevenir l’espace commun de solidarité, de cohésion et d’espoir.
Dans cette dynamique, le Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP) a une responsabilité historique : éviter un nouveau faux départ. L’histoire du Niger est jalonnée de tentatives avortées ou inabouties. Cette refondation doit donc se distinguer par son authenticité et sa capacité à inclure toutes les composantes de la nation. Pourtant, depuis les événements du 26 juillet 2023, une certaine fermeture du discours officiel et une instrumentalisation identitaire menacent de fracturer davantage le tissu social. La tentation d’imposer une lecture univoque de l’identité nationale, excluant des groupes essentiels à l’histoire du pays, fragilise les bases d’un avenir serein et partagé.
Ce glissement identitaire, s’il n’est pas corrigé avec courage et lucidité, risque d’hypothéquer durablement le projet national. La cérémonie du 26 mars 2025, censée marquer le lancement officiel de la refondation, a laissé transparaître des signes inquiétants de cette dérive. Pour que la refondation soit effective, elle doit être inclusive, respectueuse de la pluralité culturelle et fondée sur un récit commun qui transcende les appartenances étroites.
Le président Abdourahmane Tiani porte aujourd’hui l’immense responsabilité de restaurer la confiance des Nigériens dans l’action publique. S’il parvient à redonner sens à l’intérêt général, il aura accompli une part décisive de la mission confiée au CNSP. La dissolution des partis politiques traditionnels, si elle a pu susciter des interrogations, ne suscite guère de regrets pour une majorité de citoyens, tant ces formations s’étaient éloignées de leurs mandats pour devenir des instruments de clientélisme et de captation de ressources publiques. La future charte des partis devra impérativement tirer les leçons de ces dérives afin de permettre l’émergence d’un espace politique véritablement représentatif et responsable.
Le processus démocratique, amorcé depuis la Conférence nationale, a montré ses limites, faute d’avoir été pensé en adéquation avec les réalités du Niger. Trop souvent calqué sur des modèles importés, il a échoué à incarner une gouvernance de proximité, pragmatique et tournée vers l’épanouissement des citoyens. La défiance actuelle à l’égard du modèle démocratique est aussi le fruit d’un détournement de ses principes au profit d’intérêts partisans et communautaires.
La véritable réussite de la refondation se mesurera à la capacité de l’État à garantir à chaque citoyen l’égalité, la dignité et la reconnaissance dans l’espace public. Les populismes de circonstance et les logiques communautaristes ne sauraient constituer une base solide pour bâtir une nation. Le CNSP devra donc construire une légitimité fondée non sur les slogans, mais sur l’exercice éclairé et juste du pouvoir. Une gouvernance fondée sur l’équilibre, le respect des droits fondamentaux et le sens de la responsabilité peut s’avérer plus robuste qu’un mandat électif biaisé par les pratiques clientélistes.
Il est également impératif de redynamiser le processus de décentralisation. Une refonte du découpage territorial, inspirée des perceptions traditionnelles des citoyens sur leurs espaces de vie, permettrait une meilleure appropriation de l’action publique et une réconciliation durable entre l’Etat central et les Régions. Une telle démarche, libératrice des héritages coloniaux, serait un acte de souveraineté authentique.
Sur le plan du vivre-ensemble, le Chef de l’État a évoqué la notion de pardon. Si cette orientation est louable, elle doit être encadrée par un principe fondamental : la justice précède toujours le pardon. L’oubli institutionnalisé ne saurait être le socle d’un nouveau contrat social. Il revient donc aux autorités de donner à cette démarche un contenu concret, loin de toute équivoque.
Dans le même esprit, le discours public gagnerait à s’éloigner des rhétoriques excluantes. Qualifier certains citoyens d’apatrides ou d’ennemis de la nation est non seulement juridiquement infondé, mais aussi politiquement dangereux. Le lien d’un individu à sa terre natale est sacré ; nul ne devrait en être privé pour des raisons idéologiques ou communautaires. L’État doit veiller à préserver la dignité de tous et à prévenir toute dérive incitative à la haine ou à la stigmatisation.
Le CNSP est appelé à juguler cette montée de tensions identitaires qui, si elle se poursuit, pourrait plonger le Niger dans un cycle délétère semblable à ceux que connaissent actuellement le Mali et le Burkina Faso. La dégradation sécuritaire dans ces pays, conjuguée à des répressions arbitraires, met à mal la confiance populaire et obère toute perspective d’avenir stable. Le Niger ne saurait suivre cette voie. Sa stratégie sécuritaire devra rester contextuelle, adaptée à la diversité des réalités territoriales, et inscrite dans une logique d’écoute des populations.
Enfin, sur le plan international, l’affirmation souverainiste du Niger ne saurait s’inscrire dans une logique mimétique ou dans une solidarité automatique entre régimes similaires. Elle suppose une diplomatie intelligente, différenciée, et au service des intérêts nationaux. Diversifier les partenariats, rechercher des accords équilibrés, assumer ses choix stratégiques : telle est la voie d’une souveraineté assumée.
En définitive, la refondation du Niger ne sera réussie que si elle dépasse les postures et les déclarations d’intention pour s’enraciner dans une volonté politique ferme, une gouvernance équitable et une conscience aiguë des enjeux de l’époque. Le peuple nigérien, dans toute sa diversité, mérite un État qui l’écoute, le protège et le représente véritablement.
Abdoulahi ATTAYOUB
Consultant
Lyon (France) 6 avril 2025