Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Le blog de Abdoulahi ATTAYOUB

Sahel, « Tropisme pro-touareg » de la France ? : la propagande à l’épreuve de la réalité

26 Août 2022 , Rédigé par Abdoulahi ATTAYOUB

Sahel, « Tropisme pro-touareg » de la France ? : la propagande à l’épreuve de la réalité
Depuis quelques mois, à la faveur de la détérioration des relations entre le Mali et la France, une rhétorique se propage insidieusement dans les schémas d’analyse de personnes présentées comme « spécialistes du Sahel » qui s’ingénient à expliquer le développement du sentiment anti français, en partie par un prétendu « tropisme pro touareg » de la politique française au Sahel. Ce faisant, ils épousent ainsi la ligne radicale de la propagande populiste de certains courants extrémistes du paysage politique malien. En outre, cette idée reçue va à l’encontre de travaux d’historiens et d’observateurs des évolutions et des stratégies politiques des différents acteurs dans la sous-région.
Ces journalistes et autres proclamés « experts » du Sahel qui relaient trop facilement la propagande de certains milieux jusqu’au-boutistes maliens font preuve d’une paresse intellectuelle et d’une méconnaissance manifeste de la réalité de l’espace sahélo-saharien. Un simple examen de son Histoire récente leur aurait montré que le peuple touareg fait certainement partie de ceux qui ont le plus fait les frais de la colonisation et des architectures étatiques postcoloniales.
Il conviendrait ainsi de replacer certaines assertions démagogiques dans leur contexte populiste et rappeler la réalité des faits et la manière dont la communauté touarègue malienne est traitée depuis l’indépendance du pays, et par le Mali et par la France. Il suffit de rappeler la configuration géopolitique de cet espace à l’arrivée de la France et considérer objectivement la place des Touaregs dans les systèmes politiques installés et protégés par la France depuis les indépendances. Avant le processus de colonisation, les Confédérations touarègues jouaient un rôle politique et militaire majeur dans cet espace sahélo saharien. A l’heure des indépendances, les rênes du pouvoir ont été transmises exclusivement à d’autres communautés et aujourd’hui, les Touaregs sont réduits au statut de « minorité périphérique » à peine tolérée et dont certains jeunes Maliens doutent carrément de la légitimité à revendiquer un quelconque droit à s’exprimer sur la nature de l’Etat et de ses institutions.
Certains Maliens reprochent aujourd’hui à la France d’avoir refusé de prendre le risque de se rendre complice de massacres plus que probables de populations touarègues si l’armée malienne était entrée à Kidal dans le sillage de l’opération Serval. Il est vrai que depuis la création du Mali, la France a souvent, par son silence, choisi de couvrir les massacres commis contre les populations touarègues afin de ne pas remettre en cause des pouvoirs de sa sphère d’influence. Ainsi, dans les années 90, des milliers de civils ont été massacrés par l’Armée régulière malienne, de véritables pogroms se sont déroulés dans différentes localités et cela n’a pas empêché la voix officielle de la France de chercher à afficher le Mali comme l’exemple de Démocratie en Afrique de l’Ouest. Pas une seule fois la France, pays le plus au fait de cette réalité et membre du Conseil de Sécurité de l’ONU, n’a jugé nécessaire de saisir les instances européennes ou onusiennes pour recommander des enquêtes et le respect des droits humains. Nombre de ces massacres sont pourtant documentés par différentes organisations de défense des droits de l’Homme mais certains Etats, la France au premier chef, ont intentionnellement bloqué leur traitement par la justice internationale.
Il est par conséquent surprenant que des « experts » reprennent aussi légèrement aujourd’hui à leur compte des éléments de langages et des représentations distillés par quelques mercenaires de la plume qui encadrent les extrémistes sahéliens aveuglés par des idéologies anachroniques et manipulés par des forces prêtes à tout pour accéder aux matières premières de cet espace.
La France a négligé les aspirations des peuples qu’elle a trouvés au Sahel et s’est contentée de traiter avec les systèmes politiques qu’elle a elle-même mis en place, tout en les sachant non représentatifs des réalités humaines constitutives des populations de ces nouveaux Etats. Les différents régimes qui se sont succédé ont cherché à imprimer une vision ethnocentrée de ces Etats, qu’ils ont généralement façonnés en conséquence. Cela n’a pas favorisé la construction d’une cohésion nationale au sein des pays créés à l’issue de la période coloniale. Le sentiment national ne saurait se construire et être partagé quand l’Etat est au service de certaines communautés au détriment d’autres. La propagation et l’avancée des idéologies radicales d’aujourd’hui, s’expliquent aussi par les injustices qu’endurent certaines communautés depuis les indépendances.
Abdoulahi ATTAYOUB
Consultant
Président de l’ODTE (Organisation de la Diaspora Touarègue en Europe) / TANAT
Lyon 26 août 2022
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article